Le 20 mai 2025 • Mis à jour le 22 mai 2025
EIT : derrière cet acronyme barbare se cache l’Écologie Industrielle et Territoriale...
Derrière cette dénomination non moins barbare se trouve une des clés pour minimiser notre « empreinte ressource » en travaillant à plus grande échelle avec les entreprises.
En mettant en regard deux notions a priori antinomiques –« l’écologie » et « l’industrie »-, ce terme questionne, et plus encore avec le « Territoire » qui semble les relier pour le bien d’un collectif.
En clair, l’EIT est donc un mode d’organisation industrielle, visant à optimiser les flux des entreprises à l’instar des écosystèmes en boucle circulaire : les déchets des uns sont les ressources des autres, rien ne se perd, tout se transforme ! D’une simplicité à toute épreuve en théorie, il n’en reste pas moins que sa mise en œuvre est plus complexe qu’il n’y parait en pratique…
Zoom sur deux initiatives de territoire pour donner à connaitre et donner l’envie ! Ces exemples répondent à l’action 3.5. « Soutenir et accompagner les projets d'Écologie Industrielle et Territoriale » du référentiel du programme Territoire Engagé Transition Ecologique.
Labélisée 2 étoiles Territoire Engagé Transition Écologique Économie Circulaire, la Communauté de Communes du Clunisois développe depuis 2017 des actions d'EIT via le pôle territorial de coopération économique InCluniso pour répondre aux enjeux économiques, sociaux et écologiques de la collectivité.
Disposant de la compétence obligatoire « développement économique », elle est à ce titre en lien avec les entreprises et autres organisations du territoire pour leur rendre différents services (collecte des déchets, aide aux recrutements, recherche de locaux, etc.). Cette position lui permet d'avoir une bonne visibilité sur les activités et leurs besoins, pour animer une démarche d'EIT.
Tout est parti d’un constat : d’un côté, des commerçants et des entreprises se débarrassant de leurs cartons et de l’autre une demande d’emballages émanant de particuliers et d’entreprises, le tout sur le même territoire. Si malheureusement ils ne sont pas encore parvenus à revaloriser en emballage de réemploi ces cartons (ils assurent pour le moment un simple service de collecte), cette idée a fait des émules, et d’autres actions ont ainsi émergé...
« Nous avons une matériauthèque, encore en phase d’expérimentation, pour récupérer des matériaux du BTP en amont de démolition ou dans deux déchetteries du territoire. A ce jour nous arrivons à collecter environ 1 tonne de matériaux par mois » s’enthousiasme Meddy CHALANDARD, chargé de mission économie circulaire à la CCC.
« Les matériaux ainsi collectés sont déposés à la matériauthèque du Sanatorium de Bergesserin où ils seront réemployés pour la rénovation du tiers-lieu. En fonction du stock, nous envisageons même de proposer aux habitants d’acheter ou de déposer des matériaux. Nous sommes vraiment dans une démarche d’EIT de circuit court ! ».
Réparation d'une toiture avec des tuiles de réemploi
Crédit photo CC du Clunisois
Les tuiles ont permis de recouvrir 230m² de toiture
Crédit photo CC du Clunisois
Une autre action est en cours : la récupération d’invendus de produits alimentaires (auprès de la banque alimentaire, supermarchés, restauration collective, associations, entreprises, habitants) permet de récupérer 20 tonnes de nourriture par an et d’alimenter une épicerie solidaire à destination des personnes en situation de précarité. Deux emplois ont pu être ainsi créés.
Bien que l’EIT ne concerne a priori que les entreprises via les économies liées à leurs propres synergies, force est de constater que les bénéfices se diffusent au-delà de leurs limites, permettant de soutenir et de créer des activités, et donc des emplois (trois en 2025 directement liés à l’économie circulaire.) D'un point de vue financier, l'EIT permet de mutualiser des moyens et d'éviter le gaspillage de ressources premières ou secondaires, ce qui est évidemment un gain collectif engendrant des aménités positives.
Malgré ces résultats encourageants pour la collectivité, cette dernière ne dispose que de peu de moyens pour l'ingénierie de projet et l'animation territoriale. Le soutien financier et technique de ses partenaires (Région et ADEME notamment) a donc été capital dans le renforcement de ses compétences pour réaliser un diagnostic et engager des actions concrètes.
A la question « peut-on faire plus ? », Boris CHEVROT, le coordinateur du pôle économie-services aux publics s’anime : « Oui bien sûr ! Mais avec des moyens logistiques et techniques qui nécessitent des investissements… Par ailleurs, les projets d'EIT sortent parfois les entreprises de leur domaine de spécialité… Je pense par exemple à notre projet méthanisation, qui dispose d'un bon potentiel au regard de la ressource, mais pour lequel les entreprises ne souhaitent pas investir des montants conséquents). Tout ceci s’accompagne sur le temps long et par la volonté de nos politiques. ».
Grand Poitiers Communauté urbaine s’est engagée dès 2009 dans une démarche territoriale de réduction des déchets et d’économie circulaire. Les objectifs principaux sont d'accompagner le changement de comportements et de pratiques en matière de consommation, de production et de valorisation des déchets auprès de l’ensemble des producteurs de déchets sur le territoire (particuliers, professionnels, communes) ; ceci afin de limiter le gaspillage des ressources, les impacts environnementaux et de développer les principes de l’économie circulaire.
Engagée dans la démarche Territoire Engagé Transition Écologique, la collectivité déploie conjointement les labels Économie circulaire et Climat - Air - Énergie. En 2022, sur la base du référentiel économie circulaire, Grand Poitiers a été auditée pour la première fois sur sa démarche d’économie circulaire et a obtenu le label 3 étoiles. Par ailleurs, Grand Poitiers Communauté urbaine a été lauréate en 2022 du niveau 2 de l’appel à projet écologie industrielle et territoriale en Nouvelle-Aquitaine (EITNA) proposé et financé par l’ADEME et la Région dans le but de bénéficier d’une assistance technique, méthodologique et financière pour conduire une démarche d’EIT et mettre en œuvre des synergies.
Il n’y a pas de démarches EIT sans rencontres entre entreprises. Ces rencontres permettent de détecter les synergies potentielles afin de rassembler les acteurs économiques et ainsi réaliser des synergies de flux industriels, de mutualiser des équipements ou des services pour, in fine, réduire les déchets.
C’est la base de la démarche : se connaitre entre entreprises, acteurs de l’ESS, acteurs du réemploi, industriels, pour évaluer les synergies et passer à l’acte sous forme de substitution d’activités, de mutualisation de services/ressources ou enfin de création de nouvelles activités.
Des démarches similaires permettent la transversalité et la mise en lien des acteurs via le dispositif Acteurs Engagés pour mobiliser, accompagner, valoriser les acteurs socio-économiques dans la transition écologique du grand Poitiers.
Par ailleurs, la coopération inter-démarches/territoires comme la Convention de partenariat avec l’EIT du Sud Vienne permet de répondre plus favorablement aux enjeux, de créer d’autres synergies et de réaliser un maillage entre les territoires.
Il n’y a pas de rencontres sans animateur. C’est la chargée de mission écologie industrielle et territoriale du Grand Poitiers, Manon CHEGANI, qui a la charge d’entretenir les liens, le réseau, les synergies car le naturel revient vite au galop… L’animatrice est le pivot de la démarche, la clé de contact et le carburant.
Depuis, les résultats sont à la hauteur de l’énergie impulsée (bilan 2024) : Grand Poitiers a fait le choix du territoire du Pôle logistique du Grand Ouest, situé sur les communes de Poitiers et Migné-Auxances pour lancer la démarche. Une trentaine de synergies ont été réalisées depuis le début du projet, avec des synergies ponctuelles qui ont lieu une fois ou de manière irrégulière ou des synergies récurrentes qui sont en cours et perdurent dans le temps. Le bilan des synergies 2024 est en cours, mais il y a eu principalement des synergies de matières, de substitution (métal, mobiliers, caisses en bois de transport, textile, etc.) comme par exemple cet acteur du réemploi qui a récemment récupéré environ 1000 kg d’éléments en métal chez une entreprise (chariots, racks…).
Parmi les 55 acteurs économiques rencontrés/diagnostiqués/mobilisés, un noyau d’environ 30 acteurs apparaît nettement, tant par leur assiduité à participer aux réunions et animations.
Si on interroge l’intérêt de la collectivité dans cette démarche, Manon CHEGANI s’exclame « Et bien, il est très clair ! C’est de rassembler les acteurs économiques du territoire pour répondre à des enjeux collectifs et territoriaux par le biais d’animations. ».
A ce jour, ils travaillent en coopération avec les acteurs de l’EIT Sud Vienne (territoire voisin) sur les enjeux du textile, en particulier des équipements de protection individuelles (EPI). D’autres rencontres ont également permis de déceler un besoin de plateforme/matériauthèque sur lequel une étude est en cours.
Quant à la question de savoir si Grand Poitiers peut faire plus, Manon CHEGANI rétorque avec enthousiasme « Oui, bien sûr, mais la mise en place de certaines actions peut prendre du temps et s’étudie budgétairement. Les acteurs ne peuvent pas toujours se permettre d’investir sur certains projets car la temporalité entre les demandes des acteurs et la mise en place des actions n’est pas la même pour les entreprises que pour le domaine public ... ».
Une collectivité rurale est synonyme de proximité : les acteurs sont peu nombreux et donc se connaissent tous. Cela est beaucoup plus efficace pour animer une démarche d'EIT. Par ailleurs, les territoires ruraux disposent souvent d'une grande diversité d'activités : agricoles, industrielles et tertiaires, pour lesquelles une démarche d'EIT peut favoriser les coopérations et les complémentarités. « Moins il y a de ressources facilement mobilisables, plus il y a d’idées et d’ingéniosité ! » résume Boris CHEVROT de la CC du Clunisois.
A contrario, une collectivité urbaine compte un très grand nombre entreprises avec des compétences, des attentes, des tailles et des profils très variés. Cela engendre de fait plus de facilité dans la création de synergies. « Plus il y a de ressources mobilisables, plus c’est complexe mais plus c’est efficace ! » complète Manon CHEGANI de la CA du Grand Poitiers.
Comme la présence de sel dans les aliments permet la réussite d’un plat, il y a quelques ingrédients nécessaires pour la réussite d’une démarche EIT :
S’assurer que la démarche soit identifiée par l’ensemble des acteurs du territoire : pour travailler ensemble, il faut se connaitre. Cela implique des diagnostics, des visites de sites, de prendre du temps pour les accompagner individuellement dans un premier temps.
Favoriser une diversité des acteurs économiques impliqués dans l’EIT (acteurs de l’ESS, apporteurs de solutions, industriels, entreprises de différentes tailles et activités, établissements de recherche) : plus les acteurs sont divers, plus les synergies ont l’opportunité de se créer.
Entretenir les liens et la dynamique dans le réseau par un animateur : l’EIT est avant tout une démarche volontariste portée par la bonne volonté des dirigeants. De bonnes relations garantissent la pérennité de ses synergies interdépendantes les unes d’entre elles.
Encourager les démarches apprenantes par le retour d’expérience d’autres collectivités ou le programme national de synergies inter-entreprises EIT : suivre un exemple probant et enthousiasmant permet d’oser se lancer dans la démarche ou entretenir la motivation de ceux qui sont déjà engagés.
L’EIT est à la mode : il est tentant de nommer une simple action de réemploi ou de valorisation de déchets en tant qu’EIT pour répondre à la pression des bonnes pratiques. La démarche est bien « industrielle » indiquant le caractère large de l’échelle ; et « territoriale » indiquant le fait systémique de l’entreprise et la pluralité des acteurs de la démarche.
La pérennité de la démarche est fragile : l’interdépendance des entreprises sur les flux ou les mutualisations est à accompagner sur la durée dans une stratégie de développement transparente et concertée tout en garantissant la confidentialité propre à chaque entité. L’animation de cette démarche est un poste important et donc un coût à assumer sur le long terme.
Les programmes d’accompagnement pluriannuels cessent : ils sont souvent liés à des financements d’animation qui ne sont souvent pas autofinancés. Cela augmente les difficultés de rencontrer de nouveaux acteurs sans ces accompagnements techniques de terrain.
L’EIT repose sur la bonne volonté des entreprises à coopérer : les liens humains sont riches et complexes et il convient de les soigner en proposant régulièrement des rencontres pour cultiver le socle commun et prévenir des dysfonctionnements souvent liés à la peur ou à une mauvaise communication. Cela a également un coût pour les entreprises.
Le diagnostic est primordial pour la bonne pérennité des synergies : le cahier charges doit être très précis et le suivi du diagnostic très rigoureux afin de contrôler le processus.
La multiplicité des interlocuteurs et des différents programmes à destination des entreprises peut parfois brouiller le message pour les entreprises qui attendent un unique interlocuteur.
En tant que collectivité, vous avez les leviers pour initier cette démarche !
Vous avez un rôle clé en intervenant à plusieurs niveaux :
La sensibilisation de la démarche
La mise en réseau des parties prenantes
Leur accompagnement dans la mise en œuvre
Le souci de la pérennité de l’écosystème ainsi créé
Une proposition financière via des ressources interne ou un financement de tiers
Vous l’aurez compris, derrière ces leviers se trouve la figure du politique… Vous incarnez le territoire par la collectivité qui le structure. Par votre engagement concret, vous donnez la dimension territoriale à la démarche et ainsi sa raison d’être et sa puissance dans la transition écologique.
Ressources :
l’Ecologie Industrielle et Territoriale